Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/310

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semble ouïr déjà sa propre voix qui monte de la terre. Ô Cyrus, Alexandre, que vous m’êtes plus proches, lorsque je vous vois morts !…

Les vois-je, ou si je rêve ?… Je me pince, je dis : « Allons, Colas, dors-tu ? « Alors, sur le rebord de la tablette, près de mon lit, je prends les deux médailles (je les ai déterrées dans ma vigne, l’an passé) de Commode poilu, habillé en Hercule, et de Crispine Augusta, avec son menton gras, son nez de pie-grièche. Je dis : « Je ne rêve point, j’ai bien les yeux ouverts, je tiens Rome sous mon pouce… »

Le plaisir de se perdre en cogitations sur des pensées morales, disputer avec soi, remettre en question les problèmes du monde que la force a tranchés, passer le Rubicon… non, rester sur le bord… passerons-nous, ou non ? se battre avec Brutus, ou bien avec César, être de son avis, puis de l’avis contraire, et si éloquemment, et s’embrouiller si bien qu’on ne sait, à la fin, de quel parti on tient ! C’est le plus amusant : on est plein du sujet, on part dans des discours, on prouve, on va prouver, on réplique, on riposte ; corps à corps, coup de tête, prime haute, pare-moi cette botte !… et puis, en fin de compte, on se trouve enferré… Être battu par soi ! J’en suis estomaqué… c’est la faute à Plutarque. Avec sa langue dorée et son air bonhomet de vous dire : « Mon ami », on se trouve toujours, toujours de son avis ; et il en a autant qu’il change de récits. Bref, de tous ses héros celui que je préfère, c’est immanquablement le dernier que j’ai lu. Aussi