Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout oreilles et tout yeux, je m’amusais à démêler en quoi ces quatre, devant moi, étaient de moi, étaient à moi. Ils sont pourtant mes fils ; pour cela j’en réponds. Mais s’ils viennent de moi, ils en sont bien sortis ; et morbleu, par où diable y étaient-ils entrés ? Je me tâte : comment ai-je bien pu porter dans ma bedaine ce prêcheur, ce papelard et ce mouton enragé ? (Passe encore pour l’aventurier ! )… Ô nature traîtresse ! Ils étaient donc en moi ! Oui, j’en avais les germes ; je reconnais certains des gestes, des façons de parler, et même des pensées ; je me retrouve en eux, masqué, le masque étonne, mais par-dessous, c’est le même homme. Le même, un et multiple. Chaque homme porte en lui vingt hommes différents, celui qui rit, celui qui pleure, celui qui est indifférent, comme une souche, et à la pluie et au beau temps, le loup, le chien, et la brebis, le bon enfant, le chenapan ; mais l’un des vingt est le plus fort et, s’arrogeant seul la parole, il clôt le bec aux dix-neuf autres. De là, vient que ceux-ci décampent, sitôt qu’ils voient la porte ouverte. Mes quatre fils ont décampé. Les pauvres gars ! Mea culpa. Si loin de moi, ils sont si près !… Eh ! ce sont toujours mes petits. Quand ils disent des sottises, j’ai envie de leur demander pardon de les avoir faits sots. Heureusement qu’ils sont contents et qu’ils se trouvent beaux !… Qu’ils s’admirent, j’en suis bien aise ; mais ce que je ne puis supporter, c’est qu’ils ne veuillent point tolérer que les autres soient laids, tout leur soûl, s’il leur plaît.