Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/56

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piques, jambons, cervelas et boudins. Nous entendions les cris de rage et de désir des assiégeants. Nous nous en fîmes une pinte de bon sang ; et, pour n’en point perdre une goutte (lorsque tu tiens une bonne farce, jusqu’à la moelle ronge l’os !) le soir venu, nous installâmes sous le ciel clair, sur les talus, avec les murs pour paravent, tables chargées de victuailles et de flacons ; nous banquetâmes, à grand fracas, chantant, trinquant, à la santé du Mardi gras. Du coup, les autres en faillirent crever de fureur dans leur peau. Ainsi la journée se passa gentiment, sans trop de dégât. Si ce n’est que l’un des nôtres, le gros Gueneau de Pousseaux, ayant voulu, dans sa ribote, se promener sur la muraille, le verre en main pour les narguer, eut d’une mousquetade sa cervelle et son verre mis en capilotade. Et de notre côté, nous en estropiâmes un ou deux, en échange. Mais notre bonne humeur n’en fut point altérée. Point de fête, on le sait, sans quelques pots cassés.

Chamaille attendait la nuit, pour sortir de la ville et pour rentrer chez lui. Nous avions beau lui dire :

— Ami, tu risques gros. Attends plutôt la fin. Dieu se chargera bien de tes paroissiens.

Il répondait :

— Ma place est parmi mes agneaux. Je suis le bras de Dieu ; et si je fais défaut, Dieu restera manchot. Il ne le sera point où je serai, j’en jure.

— Je le crois, je le crois, dis-je, tu l’as prouvé, lorsque les huguenots assiégeaient ton clocher et