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Jean-Christophe

plus léger ; il se disait : « Celui-là, ils n’oseront pas le renvoyer. Sûrement, ils joueront pour lui. » — Mais il n’était pas convaincu ; il ne commençait à se rassurer, que quand les musiciens s’installaient. Encore craignait-il jusqu’au dernier moment que le rideau se levât, et que l’on annonçât, comme l’on fit un soir, un changement de spectacle. Il regardait avec ses petits yeux de lynx sur le pupitre de la contrebasse, pour voir si le titre inscrit sur son cahier était celui de la pièce attendue. Et quand il avait bien vu, deux minutes après, il regardait de nouveau pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé. — Le chef d’orchestre n’était pas encore là. Sûrement il était malade. — On s’agitait derrière le rideau, on entendait un bruit de voix et de pas précipités. C’était un accident, un malheur imprévu ? — Le silence se rétablissait. Le chef d’orchestre était à son poste. Tout semblait enfin prêt… On ne commençait pas ! Mais que se passait-il donc ? — Il bouillait d’impatience. — Enfin le signal retentissait. Il avait des battements de cœur. L’orchestre préludait ; et, pendant quelques heures, Christophe nageait dans une félicité, que troublait seulement l’idée qu’elle finirait tout à l’heure.