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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/93

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LA NOUVELLE JOURNÉE

désarroi. Tout me manquait. Je vous avais perdue. Ici, le vide affreux de ceux que j’ai perdus. Tous les anciens amis dont je vous ai parlé, disparus. Philomèle — (vous vous souvenez de la voix qui chantait, en ce soir triste et cher où, errant parmi la foule d’une fête, je revis dans une glace vos yeux qui me regardaient) — Philomèle a réalisé son rêve raisonnable ; un petit héritage lui est venu ; elle est en Normandie ; elle a une ferme, qu’elle dirige. M. Arnaud a pris sa retraite ; il est retourné avec sa femme dans leur province, une petite ville du côté d’Angers. Des illustres de mon temps beaucoup sont morts ou se sont effondrés ; seuls, quelques vieux mannequins, qui jouaient il y a vingt ans les jeunes premiers de l’art et de la politique, les jouent encore aujourd’hui, avec le même faux visage. En dehors de ces masques, je ne reconnaissais personne. Ils me faisaient l’effet de grimacer sur un tombeau. C’était un sentiment affreux. — De plus, les premiers temps après mon arrivée, j’ai souffert physiquement de la laideur des choses, de la lumière grise du Nord, au sortir de votre soleil d’or ; l’entassement des maisons blafardes, la vulgarité de lignes de certains dômes, de certains monuments, qui ne m’avait jamais frappé jusque-là, me blessait