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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 10.djvu/94

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LA FIN DU VOYAGE

cruellement. L’atmosphère morale ne m’était pas plus agréable.

« Pourtant, je n’ai pas à me plaindre des Parisiens. L’accueil que j’ai trouvé ne ressemble guère à celui que je reçus autrefois. Il paraît que, pendant mon absence, je suis devenu une manière de célébrité. Je ne vous en parle pas, je sais ce qu’elle vaut. Toutes les choses aimables que ces gens disent ou écrivent sur moi me touchent ; je leur en suis obligé. Mais que vous dirai-je ? Je me sentais plus près de ceux qui me combattaient autrefois que de ceux qui me louent aujourd’hui… La faute en est à moi, je le sais. Ne me grondez pas. J’ai eu un moment de trouble. Il fallait s’y attendre. Maintenant, c’est fini. J’ai compris. Oui, vous avez eu raison de me renvoyer parmi les hommes. J’étais en train de m’ensabler dans ma solitude. Il est malsain de jouer les Zarathustrâ. Le flot de la vie s’en va, s’en va de nous. Vient un moment, où l’on n’est plus qu’un désert. Pour creuser jusqu’au fleuve un nouveau chenal dans le sable, il faut bien des journées de fatigues, au soleil brûlant. — C’est fait. Je n’ai plus le vertige. J’ai rejoint le courant. Je regarde et je vois.

« Mon amie, quel peuple étrange que ces Français ! Il y a vingt ans, je les croyais