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Jean-Christophe

sauta de côté : ils le virent plonger dans les taillis, cul par dessus tête ; le frôlement des feuilles froissées s’effaça comme un sillage sur la surface de l’eau. Bien qu’ils eussent regret d’avoir crié, cette aventure les mit en joie. Ils se tordaient de rire, en pensant au bond effarouché du lièvre, et Christophe l’imita d’une façon grotesque. Otto fit de même. Puis ils se poursuivirent. Otto faisait le lièvre, et Christophe le chien ; ils dévalèrent les bois et les prés, passant à travers les haies et sautant par dessus les fossés. Un paysan vociféra contre eux, parce qu’ils s’étaient lancés au milieu d’un champ de seigle ; ils ne s’arrêtèrent pas pour l’entendre. Christophe imitait les aboiements enroués du chien avec une telle perfection, que Otto pleurait de rire. Enfin, ils se laissèrent rouler le long d’une pente, en criant comme des fous. Quand ils ne purent plus articuler un son, ils s’assirent et se regardèrent avec des yeux rieurs. Ils étaient tout à fait heureux maintenant et satisfaits d’eux-mêmes. C’est qu’ils n’essayaient plus de jouer aux amis héroïques ; ils étaient franchement ce qu’ils étaient : deux enfants.

Ils revinrent bras dessus, bras dessous, en chantant des chansons dénuées de sens. Toutefois, au moment de rentrer en ville ils jugèrent bon de reprendre leur rôle ; et, sur le dernier arbre du bois, ils

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