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Christophe a ses entrées aux concerts et au théâtre ; il apprend à toucher un peu de tous les instruments. Il est même d’une jolie force déjà sur le violon ; et son père a imaginé de lui faire donner un pupître à l’orchestre. Il y tient si bien sa partie, qu’après quelques mois de stage, il a été nommé officiellement second violon du Hof Musik Verein. Ainsi, il commence à gagner sa vie ; et ce n’est pas trop tôt ; car les affaires se gâtent de plus en plus à la maison. L’intempérance de Melchior a empiré, et le grand-père vieillit.

Christophe se rend compte des tristesses de la situation ; il a déjà l’air sérieux et soucieux d’un petit homme. Il s’acquitte vaillamment de sa tâche, bien qu’elle ne l’intéresse guère, et qu’il tombe de sommeil, le soir, à l’orchestre, parce qu’il est tard, et qu’il s’ennuie. Le théâtre ne lui cause plus l’émotion d’autrefois, quand il était petit. Quand il était petit, — il y a quatre ans de cela, — sa suprême ambition eût été d’occuper cette place, où il est aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’aime pas la plupart des musiques qu’on lui fait jouer ; il n’ose pas encore formuler son jugement sur elles : au fond, il les trouve sottes ; et quand, par hasard, on joue de belles choses, il est mécontent de la bonhomie avec laquelle on les joue : les œuvres qu’il aime le mieux finissent par ressembler à ses voisins, ses collègues

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