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le matin

de l’orchestre, qui, le rideau tombé, lorsqu’ils ont fini de souffler ou de gratter, s’épongent en souriant, et racontent tranquillement leurs petites histoires, comme s’ils venaient de faire une heure de gymnastique, Il a aussi revu de près son ancienne passion, la chanteuse blonde aux pieds nus ; il la rencontre souvent, pendant l’entr’acte, à la restauration. Comme elle sait qu’il a été amoureux d’elle, elle l’embrasse volontiers ; il n’en éprouve aucun plaisir : il est dégoûté par son fard, son odeur, ses bras énormes, et sa voracité ; il la hait maintenant.

Le grand-duc n’oubliait pas son pianiste ordinaire : non que la modique pension qu’il lui attribuait pour ce titre lui fût exactement payée, — il fallait toujours la réclamer ; — mais, de temps en temps, Christophe recevait l’ordre de se rendre au château, quand il y avait des invités de marque, ou bien, tout simplement, quand il prenait fantaisie à Leurs Altesses de l’entendre. C’était presque toujours le soir, à des heures où Christophe eût voulu rester seul. Il fallait tout laisser, et venir en toute hâte. Parfois, on le faisait attendre dans une antichambre, parce que le dîner n’était pas fini. Les domestiques, habitués à le voir, lui parlaient familièrement. Puis, on l’introduisait dans un salon, plein de glaces et de lumières, où des personnes gourmées le dévisageaient avec une curiosité bles-

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