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Jean-Christophe

mais Gottfried n’essayait pas, sachant que c’est inutile.

— Oncle Gottfried, demanda l’enfant, est-ce que tu n’as donc pas peur aussi de cela, toi ?

(Combien il eût voulu que Gottfried n’eût pas peur, et qu’il lui enseignât son secret !)

Mais Gottfried devint soucieux.

— Chut ! fit-il, d’une voix altérée…

— Et comment n’avoir pas peur ? dit-il après un instant. Mais qu’y faire ? C’est ainsi. Il faut se soumettre.

Christophe secoua la tête avec révolte.

— Il faut se soumettre, mon enfant, répéta Gottfried. Il l’a voulu là-haut. Il faut aimer ce qu’Il veut.

— Je le déteste ! cria Christophe haineusement, en montrant le poing au ciel.

Gottfried, consterné, le fit taire. Christophe lui-même eut peur de ce qu’il venait de dire, et il se mit à prier avec Gottfried. Mais son cœur bouillonnait ; et tandis qu’il répétait les mots d’humilité servile et de résignation, il n’y avait au fond de lui qu’un sentiment de révolte passionnée et d’horreur contre l’abominable chose, et l’Être monstrueux qui l’avait pu créer.