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Jean-Christophe

taine façon de le regarder, de lui poser les questions les plus simples, qui le faisait rougir jusqu’aux yeux ; ou bien, elles lui demandaient un petit service, — comme d’aller prendre sur un meuble un objet oublié : — ce qui était pour lui la plus pénible épreuve ; car il fallait traverser la chambre sous le feu des regards malicieux, qui guettaient impitoyablement les moindres gaucheries de ses mouvements, ses jambes maladroites, ses bras raides, son corps ankylosé par l’embarras.

De ces leçons il devait courir à la répétition du théâtre. Souvent il n’avait pas le temps de déjeuner ; il emportait dans sa poche un morceau de pain et de charcuterie qu’il mangeait pendant l’entr’acte. Il suppléait parfois Tobias Pfeiffer, le Musik Direktor, qui s’intéressait à lui, et l’exerçait à diriger de temps en temps à sa place les répétitions d’orchestre. Il lui fallait aussi continuer lui-même son éducation musicale. D’autres leçons de piano remplissaient sa journée, jusqu’à l’heure de la représentation. Et bien souvent, le soir, après la fin du spectacle, on demandait à l’entendre au château. Là, il devait jouer pendant une ou deux heures. La princesse prétendait se connaître en musique ; elle l’aimait fort, sans avoir jamais su faire de différence entre la bonne et la mauvaise. Elle imposait à Christophe des programmes baroques, où de

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