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Jean-Christophe

ne t’en soucie pas plus que moi ! Que me font les autres ? Je méprise ce qu’ils pensent et ce qu’ils penseront jamais de moi. Il n’y a que toi qui m’importes. Aime-moi bien, mon âme, aime-moi comme je t’aime ! Je ne puis te dire combien je t’aime. Je suis tien, tien, tien, de l’ongle à la prunelle. À toi pour jamais.

« Christophe »


Christophe se rongea d’attente pendant le reste de la semaine. Il se détournait de son chemin et faisait de longs crochets pour venir rôder du côté de la maison d’Otto, — non qu’il pensât le voir ; mais la vue de sa maison suffisait à le faire pâlir et rougir d’émotion. Le jeudi, il n’y tint plus et envoya une seconde lettre, encore plus exaltée que la première. Otto y répondit, avec sentimentalité.

Le dimanche vint enfin, et Otto fut exact au rendez-vous. Mais il y avait près d’une heure que Christophe se dévorait d’impatience, en l’attendant sur la promenade. Il commençait à se tourmenter de ne pas le voir venir. Il tremblait qu’Otto fût malade ; car il ne supposait pas un instant qu’Otto pût lui manquer de parole. Il répétait tout bas : « Mon Dieu ! faites qu’il vienne ! » Et il frappait les petits cailloux de l’allée avec une baguette ; et il se disait que s’il manquait trois fois son coup, Otto ne vien-

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