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le matin

drait pas, mais que s’il touchait juste, Otto paraîtrait aussitôt. Et, malgré son attention et la facilité de l’épreuve, il venait de manquer son but trois fois, lorsqu’il aperçut Otto qui arrivait de son pas tranquille et posé : car Otto restait toujours correct, même quand il était le plus ému. Christophe courut à lui, et, la gorge sèche, lui dit bonjour. Otto répondit : bonjour ; et ils ne trouvèrent plus rien à se dire, sinon que le temps était fort beau, et qu’il était dix heures cinq, ou six, à moins que ce ne fût dix heures dix, parce que l’horloge du château était toujours en retard.

Ils allèrent à la gare, et prirent le chemin de fer pour une station voisine, qui était un but d’excursion pour la ville. En route, ils ne parvinrent pas à échanger dix mots. Ils essayèrent d’y suppléer par des regards éloquents : cela ne réussit pas mieux. Ils avaient beau vouloir se dire ainsi quels amis ils étaient : leurs yeux ne disaient rien du tout, ils jouaient la comédie. Christophe s’en aperçut avec humiliation. Il ne comprenait pas pourquoi il ne parvenait point à exprimer, ni même à sentir tout ce qui lui remplissait le cœur, une heure auparavant. Otto ne se rendait peut-être pas compte aussi clairement de cette malchance, parce qu’il était moins sincère et regardait en lui avec plus d’égards pour lui-même ; mais il éprouvait un pareil désappoin-

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