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Jean-Christophe

tement. La vérité est que les deux enfants avaient, depuis huit jours, en l’absence l’un de l’autre, monté leurs sentiments à un diapason tel, qu’il leur était impossible de les y maintenir dans la réalité, et qu’en se retrouvant, leur première impression devait être nécessairement une déception : il en fallait rabattre. Mais ils ne pouvaient se résoudre à en convenir.

Ils errèrent tout le jour dans la campagne, sans réussir à secouer la contrainte maussade qui pesait sur eux. C’était jour de fête : les auberges et les bois étaient remplis d’une foule de promeneurs, — des familles de petits bourgeois, qui faisaient grand bruit et mangeaient dans tous les coins. Cela ajoutait à leur mauvaise humeur ; ils attribuaient à ces importuns l’impossibilité où ils étaient de retrouver l’abandon de la dernière promenade. Ils parlaient cependant, ils se donnaient grand mal pour trouver des sujets de conversation ; ils avaient peur de s’apercevoir qu’ils n’avaient rien à se dire. Otto étalait sa science d’école. Christophe entrait dans des explications techniques sur les œuvres musicales et le jeu du violon. Ils s’assommaient l’un l’autre. Ils s’assommaient eux-mêmes en s’entendant parler. Et ils parlaient toujours, tremblant de s’arrêter ; car il s’ouvrait alors des abîmes de silence qui les glaçaient. Otto avait envie de pleurer ; et Christophe

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