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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/216

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Jean-Christophe

Reinhart lut, avec sa femme, et ne trouva que les expressions de l’admiration la plus éperdue.

— Je ne vois pas, dit-il, étonné.

— Tu ne vois pas ? Tu ne vois pas ?… — cria Christophe, en reprenant la lettre, et en la lui mettant sous les yeux. — Mais tu ne sais donc pas lire ? Tu ne vois pas qu’il est aussi un « Brahmine » ?

Alors seulement, Reinhart remarqua que le Universitätsmusikdirektor, dans une ligne de sa lettre, comparait les Lieder de Christophe à ceux de Brahms. — Christophe se lamentait :

— Un ami ! Je trouve enfin un ami !… Et à peine je l’ai gagné que je l’ai déjà perdu !…

Il était suffoqué par la comparaison. Si on l’eût laissé faire, sur-le-champ, il eût répondu par une lettre de sottises. Ou, peut-être, à la réflexion, il se fût cru très sage et très généreux, en ne répondant rien du tout. Heureusement, les Reinhart, tout en s’amusant de sa mauvaise humeur, l’empêchèrent de commettre une absurdité de plus. Ils réussirent à lui faire écrire un mot de remerciements. Mais ce mot, écrit en rechignant, était froid et contraint. L’enthousiasme de Peter Schulz n’en fut pas ébranlé : il envoya encore deux ou trois lettres, débordantes d’affection. Christophe n’était pas un bon épistolier ; et, quoiqu’un peu réconcilié avec l’ami inconnu par le ton de sincérité et de vraie sympathie qu’il sentait à travers toutes ses lignes, il laissa tomber la correspondance. Schulz finit par se taire. Christophe n’y pensa plus.