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LA FOIRE SUR LA PLACE

bénédictins, à l’étude des mauvais lieux des cinq parties du monde. On ne s’étonnait point de trouver, parmi ces géographes et ces historiens du plaisir, des poètes distingués et de parfaits écrivains. On ne les distinguait des autres qu’à leur érudition. Ils disaient en termes impeccables des polissonneries archaïques.

Le plus consternant, c’était de voir de braves gens et de vrais artistes, des hommes qui jouissaient dans les lettres françaises d’une juste notoriété, s’évertuer à ce métier pour lequel ils n’étaient point doués. Certains s’épuisaient à écrire, comme les autres, des ordures que les journaux du matin débitaient par tranches. Ils pondaient cela régulièrement, à dates fixes, une ou deux fois par semaine ; et cela durait depuis des années. Ils pondaient, pondaient toujours, n’ayant plus rien à dire, se torturant le cerveau pour en faire sortir quelque chose de nouveau, de plus saugrenu, de plus incongru : car le public, gorgé, se lassait de tous les plats, et trouvait bientôt fades les imaginations de plaisirs les plus dévergondées : il fallait faire la surenchère, l’éternelle surenchère, — surenchère sur les autres, surenchère sur soi-même ; — et ils pondaient leur sang, ils pondaient leurs entrailles : c’était un spectacle lamentable et grotesque.

Christophe, qui ne connaissait pas tous les dessous de ce triste métier, et qui, s’il les eût connus, n’en eût pas été plus indulgent : car rien au monde