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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

n’excusait à ses yeux un artiste de vendre l’art pour trente deniers…

— (Même pas d’assurer le bien-être de ceux qu’il aime ?

— Même pas.

— Ce n’est pas humain.

— Il ne s’agit pas d’être humain, il s’agit d’être un homme… Humain !… Dieu bénisse votre humanitarisme au foie blanc, où il n’y a plus une goutte de sang !… On n’aime pas vingt choses à la fois, on ne sert pas plusieurs dieux !…)

… Christophe, qui, dans sa vie de travail, n’était guère sorti de l’horizon de sa petite ville allemande, ne pouvait se douter que cette dépravation artistique, qui s’étalait si crûment à Paris, était commune à presque toutes les grandes villes ; et les préjugés héréditaires de la chaste Allemagne contre l’immoralité latine se réveillaient en lui. Pourtant Sylvain Kohn aurait eu beau jeu à lui opposer ce qui se passait sur les bords de la Sprée, et l’effroyable pourriture d’une élite de l’Allemagne impériale, dont la brutalité rendait l’ignominie plus repoussante encore. Mais Sylvain Kohn ne pensait pas à en tirer avantage ; il n’en était pas plus choqué que des mœurs parisiennes. Il pensait ironiquement : « Chaque peuple a ses usages », et il trouvait si naturels ceux du monde où il vivait que Christophe pouvait croire que c’était la nature même de la race. Aussi ne se faisait-il pas faute, comme ses compatriotes, de