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LA FOIRE SUR LA PLACE

voir dans l’ulcère qui dévore les aristocraties intellectuelles de l’Europe le vice propre de l’art français, la banqueroute des races latines.

Ce premier contact de Christophe avec la littérature française lui fut pénible, et il lui fallut du temps pour l’oublier, par la suite. Il ne manquait pourtant pas d’œuvres qui n’étaient pas uniquement occupées de ce que l’un de ces écrivains appelait noblement « le goût des divertissements fondamentaux ». Mais des plus belles et des meilleures d’entre elles, rien ne lui arrivait. Elles n’étaient pas de celles qui cherchent les suffrages d’un Sylvain Kohn et de ses amis ; elles ne s’inquiétaient pas d’eux, et ils ne s’inquiétaient pas d’elles : ils s’ignoraient mutuellement. Jamais Sylvain Kohn n’en eût parlé à Christophe. De bonne foi, il était convaincu que ses amis et lui incarnaient l’art français, et qu’en dehors de ceux que leur opinion et la presse des boulevards avaient sacrés grands hommes, il n’y avait pas de talent, il n’y avait pas d’art, il n’y avait pas de France. Des poètes qui étaient l’honneur des lettres françaises d’aujourd’hui, la couronne de la France, Christophe ne connut rien. Des romanciers, seuls lui parvinrent, émergeant au-dessus de la marée des médiocres, quelques livres de Barrès et d’Anatole France. Mais il était encore trop peu familiarisé avec la langue pour pouvoir pleinement goûter l’universel dilettantisme et l’ironie érudite de l’un, l’art inégal, mais supé-