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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tresse ; elle lui parlait de ses amants ; ils se conseillaient fraternellement ; le bon père aidait sa fille dans ses adultères ; la bonne fille s’entremettait auprès de la maîtresse infidèle, la suppliait de revenir, la ramenait au bercail. Tantôt le digne vieillard se faisait lui-même le confident de sa maîtresse ; il causait avec elle des amants qu’elle avait, se contentait, faute de mieux, du récit de ses libertinages, et même il finissait par y trouver plaisir. On voyait aussi des amants, gentlemen accomplis, qui entraient comme intendants chez leurs anciennes maîtresses, veillaient sur leur commerce et leurs accouplements. Les femmes du monde volaient. Les hommes étaient entremetteurs, les filles lesbiennes. Tout cela, dans le meilleur monde : le monde riche, — le seul qui comptât. Car il permettait d’offrir aux clients, sous le couvert des séductions du luxe, une marchandise avariée. Ainsi maquillée, elle s’enlevait sur la place ; les jeunes femmes et les vieux messieurs en faisaient leurs délices. Il se dégageait de là un fumet de cadavre et de pastilles du sérail.

Leur style n’était pas moins mêlé que leurs sentiments. Ils s’étaient fait un argot composite, d’expressions de toutes classes et de tous pays, pédantesque, chatnoiresque, classique, lyrique, précieux, poisseux et poissard, une mixture de coqs-à-l’âne, d’afféteries, de grossièretés et de mots d’esprit, qui semblaient avoir un accent étranger. Ironiques, et doués d’un humour un