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LA FOIRE SUR LA PLACE

peu bouffon, ils n’avaient pas beaucoup d’esprit naturel ; mais, adroits comme ils étaient, ils en fabriquaient assez habilement, à l’instar de Paris. Si la pierre n’était pas toujours de la plus belle eau, et si presque toujours la monture était d’un goût baroque et surchargé, du moins cela brillait, aux lumières, et c’était tout ce qu’il fallait. Intelligents d’ailleurs, bons observateurs, mais observateurs myopes, les yeux déformés depuis des siècles par la vie de comptoir, examinant les sentiments à la loupe, grossissant les choses menues, et ne voyant pas les grandes, avec un goût marqué pour les oripeaux, ils étaient incapables de peindre autre chose que ce qui semblait à leur snobisme de parvenus l’idéal de la société élégante : une poignée de viveurs fatigués et d’aventuriers, qui se disputaient la jouissance de quelque argent volé et de quelques femelles sans vertu.

Parfois cependant la vraie nature de ces écrivains juifs se réveillait soudain, montait des lointains de leur être, à propos d’on ne savait quels échos mystérieux provoqués par le choc d’un mot, d’une sensation. Alors c’était un amalgame étrange de siècles et de races, un souffle du Désert qui, par delà les mers, apportait dans ces alcôves parisiennes des relents de bazar turc, l’éblouissement des sables, des hallucinations orientales, une sensualité ivre, une puissance d’invectives, une névrose enragée, à deux doigts des convulsions, une frénésie de destruction, — Samson, qui brusquement