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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

stupeur, lorsqu’il apprit que Sylvain Kohn, Goujart, et Lucien Lévy-Cœur lui-même, s’y intéressaient. Il lui fallait admettre que les rancunes personnelles de ces gens cédaient à l’amour de l’art : cela le surprenait bien. Le moins empressé à faire jouer son œuvre, c’était lui. Elle n’était aucunement faite pour le théâtre : c’était un non-sens de l’y donner, et presque une chose blessante. Mais Roussin fut si insistant, Sylvain Kohn si persuasif, et Goujart si affirmatif, que Christophe se laissa tenter. Il fut lâche. Il avait si grande envie d’entendre sa musique !

Tout fut facile à Roussin. Directeurs et artistes s’empressaient à lui plaire. Justement, un journal organisait une matinée de gala au profit d’une œuvre de bienfaisance. Il fut convenu qu’on y jouerait le David. On réunit un bon orchestre. Quant aux chanteurs, Roussin prétendait avoir trouvé pour le rôle de David l’interprète idéal.

Les répétitions commencèrent. L’orchestre se tira assez bien de la première lecture, quoiqu’il fût peu discipliné, à la façon française. Le Saül avait une voix un peu fatiguée, mais honorable ; et il savait son métier. Pour le David, c’était une belle personne, grande, grasse, bien faite, mais une voix sentimentale et vulgaire, qui s’étalait lourdement avec des trémolos de mélodrame et des grâces de café-concert. Christophe fit la grimace. Dès les premières mesures qu’elle chanta, il fut évident pour lui qu’elle ne pourrait conser-