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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Christophe entendait passer aussi cette autre musique aux mains brûlantes, aux yeux fermés, souriant d’un sourire las, le cœur gonflé de soupirs, rêvant de la mort qui délivre : — le premier chœur de la Cantate de J. S. Bach : « Cher Dieu, quand mourrai-je ? »… Il faisait bon s’enfoncer dans les moelleuses phrases qui se déroulent avec de lentes ondulations, le bourdonnement des cloches lointaines et voilées… Mourir, se fondre dans la paix de la terre !… Und dann selher Erde werden… « Et puis soi-même devenir terre… »

Christophe secoua ces pensées maladives, le sourire meurtrier de la sirène qui guette les âmes affaiblies. Il se leva et essaya de marcher dans sa chambre ; mais il ne put tenir debout. Il grelottait de fièvre. Il dut se mettre au lit. Il sentait que, cette fois, c’était sérieux ; mais il ne désarmait pas ; il n’était pas de ceux qui, quand ils sont malades, s’abandonnent à la maladie ; il luttait, il ne voulait pas être malade, et surtout, il était parfaitement décidé à ne pas mourir. Il avait sa pauvre maman qui l’attendait là-bas. Et il avait son œuvre à faire : il ne se laisserait pas tuer. Il serrait ses dents qui claquaient, il tendait sa volonté qui lui échappait : ainsi, un bon nageur qui continue de lutter au milieu des vagues qui le recouvrent. À tout instant, il plongeait : c’étaient des divagations, des images sans suite, des souvenirs du pays ou des salons parisiens ; c’étaient aussi des obsessions de rythmes et de phrases,