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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/102

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tenaient pas à faire vaincre leurs idées, mais seulement à les affirmer.

Il en était pourtant dans le nombre, qui se mêlaient d’art populaire. Entre les plus sincères, les uns jetaient dans leurs œuvres des idées anarchistes, destructives, des vérités à venir, lointaines, qui seraient peut-être bienfaisantes dans un siècle, ou dans vingt, mais qui, pour le moment, corrodaient l’âme, la brûlaient ; les autres écrivaient des pièces amères, ou ironiques, sans illusions, très tristes. Christophe en avait les jarrets coupés, pour deux jours, après les avoir lues.

— Et vous donnez cela au peuple ? demandait-il, apitoyé sur ces pauvres gens, qui venaient pour oublier leurs maux pendant quelques heures, et à qui l’on offrait ces lugubres divertissements. Il y a de quoi le mettre en terre !

— Sois tranquille, répondait Olivier, en riant. Le peuple ne vient pas.

— Il fait fichtrement bien ! Vous êtes fous. Vous voulez donc lui enlever tout courage à vivre ?

— Pourquoi ? Ne doit-il pas apprendre à voir, comme nous, la tristesse des choses, et à faire pourtant son devoir sans défaillance ?

— Sans défaillance ? J’en doute. Mais à coup sûr, sans plaisir. Et l’on ne va pas loin, quand on a tué dans l’homme le plaisir de vivre.

— Qu’y faire ? On n’a pas le droit de fausser la vérité.