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DANS LA MAISON

qui, d’un moment à l’autre, pouvait achever de la broyer pour jamais. Et il fallait vivre pour ces destins ! Songes-tu à ces petits Français, nés dans des maisons en deuil, à l’ombre de la défaite, nourris de ces pensées découragées, élevés pour une revanche sanglante, fatale, et peut-être inutile : car, si petits qu’ils fussent, la première chose dont ils avaient pris conscience, c’était qu’il n’y a pas de justice, il n’y a pas de justice en ce monde : la force écrase le droit ! De pareilles découvertes laissent l’âme d’un enfant dégradée ou grandie pour jamais. Beaucoup s’abandonnèrent ; ils se dirent : « Puisque c’est ainsi, pourquoi lutter ? pourquoi agir ? Rien n’est rien. N’y pensons pas. Jouissons. » — Mais ceux qui ont résisté sont à l’épreuve du feu ; nulle désillusion ne peut atteindre leur foi : car, dès le premier jour, ils ont su que sa route n’avait rien de commun avec celle du bonheur, et que pourtant on n’a pas le choix, il faut la suivre : on étoufferait ailleurs. On n’arrive pas, du premier coup, à cette assurance. On ne peut pas l’attendre de petits garçons de quinze ans. Il y a bien des angoisses avant, bien des larmes versées. Mais cela est bien, ainsi. Il faut que cela soit ainsi…

« Ô Foi, vierge d’acier…
Laboure de ta lance le cœur foulé des races !… »

Christophe serra en silence la main d’Olivier.