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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/125

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DANS LA MAISON

celle d’Olivier. Deux ou trois fois, il avait dû parler en public ; il en avait éprouvé une humiliation singulière. D’abord, cette exhibition sur une estrade lui était odieuse. Il voyait le public, il le sentait, comme avec des antennes, il savait qu’il était composé, en majorité, de désœuvrés qui cherchaient uniquement à se désennuyer ; et le rôle d’amuseur officiel n’était pas de son goût. Mais surtout, cette parole du haut de la chaire déforme presque fatalement la pensée ; si l’on n’y prend garde, elle risque d’entraîner peu à peu à un certain cabotinisme dans les gestes, la diction, l’attitude, la façon de présenter les idées, — dans la mentalité même. La conférence est un genre qui oscille entre deux écueils : la comédie ennuyeuse et le pédantisme mondain. Cette forme de monologue à haute voix, en présence de quelques centaines de personnes inconnues et muettes, ce vêtement tout fait, qui doit aller à tous, et qui ne va à personne, est, pour un cœur d’artiste un peu sauvage et fier, quelque chose d’intolérablement faux. Olivier, qui sentait de plus en plus le besoin de se concentrer et de ne rien dire qui ne fût l’expression intégrale de sa pensée, laissa donc le professorat, où il avait eu tant de peine à entrer ; et, n’ayant plus sa sœur pour le retenir sur le penchant de ses songeries, il se mit à écrire. Il avait la naïve croyance qu’ayant une valeur artistique, cette valeur ne pouvait manquer d’être reconnue, sans qu’il fît rien pour cela.