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DANS LA MAISON

vous rentrer tous les soirs là dedans ? Est-ce que cela ne vous décourage pas ? Moi, il me serait impossible d’y vivre. J’aimerais mieux coucher sous un pont.

— J’en ai souffert aussi, les premiers temps. Je suis aussi dégoûté que vous. Quand j’étais enfant et qu’on me menait en promenade, rien que de passer dans certaines rues populeuses et sales, j’avais le cœur serré. Il me venait des terreurs baroques, que je n’osais dire. Je pensais : « S’il y avait en ce moment un tremblement de terre, je resterais mort ici, pour toujours » ; et cela me paraissait le malheur le plus affreux. Je ne me doutais pas qu’un jour j’y habiterais, de mon gré, et que probablement j’y mourrais. Il a bien fallu devenir moins difficile. Cela me répugne toujours ; mais je tâche de n’y plus penser. Quand je remonte l’escalier, je me bouche les yeux, les oreilles, le nez, tous les sens, je me mure en moi-même. Et puis là-bas, regardez, par-dessus ce toit, je vois le haut des branches d’un acacia. Je me mets dans ce coin, de façon à ne rien voir d’autre ; le soir, quand le vent les remue, j’ai l’illusion que je suis loin de Paris ; la houle des grands bois ne m’a jamais paru si douce qu’à certaines minutes le froissement soyeux de ces feuilles dentelées.

— Oui, je me doute bien, dit Christophe, que vous rêvassez toujours ; mais il est fâcheux d’user dans cette lutte contre les taquineries de la vie