Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

223
DANS LA MAISON

maison, aucun n’avait eu moins de rapports avec Christophe. À peine s’ils s’étaient rencontrés ; et jamais ils ne s’étaient adressé la parole.

C’était une femme grande, maigre, assez bien faite, de beaux yeux bruns, opaques, un peu inexpressifs, où s’allumait, par moments, une flamme morne et dure, dans une figure jaune de cire, les joues plates, la bouche crispée. La vieille Mme Germain était dévote, et passait ses journées à l’église. La jeune femme s’isolait jalousement dans son deuil. Elle ne s’intéressait à rien, ni à personne. Elle s’entourait des reliques et des images de sa petite fille ; et, à force de les fixer, elle ne la voyait plus ; les photographies, les images mortes tuaient l’image vivante. Elle ne la voyait plus ; et elle s’obstinait ; elle voulait, elle voulait penser uniquement à elle ; ainsi, elle avait fini par ne plus pouvoir même penser à elle : elle avait achevé l’œuvre de la mort. Alors, elle restait là, glacée, le cœur pétrifié, sans larmes, la vie tarie. La religion ne lui était pas un secours. Elle pratiquait, mais sans amour, et par conséquent sans foi vivante ; elle donnait de l’argent pour des messes, mais elle ne prenait aucune part active à des œuvres ; toute sa religion reposait sur cette pensée unique : la revoir. Le reste, que lui importait ? Dieu ? Qu’avait-elle à faire de Dieu ? La revoir, la revoir… Et elle était bien loin d’en être sûre. Elle voulait le croire, elle le voulait durement, désespérément ;