Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ANNETTE ET SYLVIE 139

moment que ce ne pouvait atteindre leur mutuel amour, elles se pardonnaient tout, d’avance, les yeux fermés.

Ce n’était peut-être pas très moral ; mais tant pis ! On aurait le temps d’être moral, une autre fois.

Annette, un peu pédante, qui connaissait la vie par les livres, — ce qui ne l’empêchait pas de la découvrir ensuite : (car la vie n’a plus le même son, entendue, hors des livres) — se souvenait des beaux vers de Schiller :

Ô mes fils, Le monde est plein de mensonge et de haine ; chacun n’aime que soi ; tous les liens formés par un bonheur fragile sont incertains… Ce que le caprice a noué, le caprice le dénoue. La nature seule est sincère ; elle seule repose sur des ancres inébranlables. Tout le reste flotte au gré des vagues orageuses… Le penchant vous donne un ami, l’intérêt un compagnon ; heureux celui à qui la naissance donne un frère !… Contre ce monde de guerre et de trahison, ils sont deux à résister ensemble…

Sylvie ne les connaissait pas, bien sûr ! Et elle eût trouvé sans doute que c’étaient, pour dire un sentiment simple, beaucoup de mots embrouillés. Mais, regardant Annette, le front penché, qui ne travaillait pas, — et sa solide