Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 1.djvu/98

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cela en durait encore un temps, le déshabillage ! Les deux chambres se touchaient, les portes restaient ouvertes, on était constamment sortie de ses frontières, on causait en jupon, on causait sans jupon, et l’on eût d’un lit à l’autre causé toute la nuit, si le sommeil de la jeunesse ne fût venu tout d’un coup mettre un terme à leur clappette. Il s’abattait sur elles, d’un trait, comme un épervier sur un petit poulet. Elles tombaient sur l’oreiller, bouche ouverte, au milieu d’une phrase. Annette dormait comme une masse ; son sommeil était lourd, très souvent agité, orageux, saturé de rêves ; elle bousculait ses draps, elle parlait en dormant ; mais elle ne s’éveillait point. Sylvie, au sommeil léger, avec un doux petit ronflement, — (si vous le lui aviez dit, elle se fût drapée dans sa dignité blessée) — se réveillait, écoutait, amusée, le charabia de sa sœur, quelquefois se levait, allait auprès du lit, où, les draps soulevés en montagne par les genoux repliés, Annette était prostrée ; et, penchée à la clarté de la lampe-veilleuse — (car Annette ne pouvait dormir sans lumière) — elle épiait, intriguée, le visage épaissi, alourdi, mais étrangement passionné, parfois tragique, de la dormeuse engloutie dans l’océan des songes. Elle ne la reconnaissait plus…

— Annette ? Ça ? C’est ma sœur ?…