Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/36

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faisait pleurnicher, et puis, la cajolait, la bichait avec bruit sur les deux joues, et se faisait dorloter par elle, comme un vieux gamin. Elle avait gardé de lui le souvenir d’un cœur d’or, — qui plus est, d’un saint homme : — ce qui l’eût bien amusé dans sa tombe, — si, pour un Raoul Rivière, amateur non lassé du dessus de la terre, le dessous n’eût été une sacrée affaire !

Il n’eût pas été difficile pour Annette d’imprimer dans les yeux de tante Victorine une image de sa personne aussi avantageuse. Elle avait hérité, en même temps que de la maison, au culte que le vieux chat du foyer rendait au propriétaire. Il ne s’agissait que de ne pas contrarier ses illusions. Annette recula longtemps avant de s’y décider. Elle avait tenu la tante dans l’ignorance de son aventure. À son éloignement de Paris elle avait donné pour prétexte des raisons de santé, le désir de voyager. Si peu vraisemblable que ce fût, la tante avait paru le croire ; elle n’était pas curieuse, et craignait les nouvelles qui pouvaient l’agiter. Il fallut bien pourtant qu’elle les apprît, à la fin. Sylvie se chargea, après la naissance de l’enfant, de la lui annoncer. La pauvre femme en fut « sidérée ». Elle eut beaucoup de peine à comprendre la situation ; elle n’en avait jamais envisagé de telle. Elle écrivit à Annette des lettres affolées, si obscures qu’Annette aurait pu croire — (cet âge est sans pitié !) — que c’était tante Victorine qui venait d’accoucher. Elle la consola, de son mieux. Sylvie était convaincue que la vieille dame partirait de la maison. Mais partir de la maison était la dernière pensée qui pût venir à tante Victorine. Pour le reste, son esprit s’agitait dans un désordre inextricable. Elle était bien incapable de donner un conseil ! Il lui en eût fallu pour elle. Elle ne savait que se lamenter. Mais on ne vit pas de lamentations ; et comme on doit vivre pourtant, elle finit par découvrir dans le malheur d’Annette une épreuve du ciel. Elle commençait à s’y habituer, en l’absence de