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Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/83

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et son rang officiels, elle croyait, dur comme fer, aux Tables de la Loi laïque, qu’avait élaborées la moralité raisonnante de quelques pédagogues républicains. C’était assez dire que si sa conscience nue était indifférente à la morale conventionnelle, sa conscience habillée — sa conscience usuelle — blâmait sévèrement la conduite d’Annette. Car elle la connaissait : l’aventure avait fait le tour de la société.

Mais elle ne connaissait pas encore sa ruine. Et quand Annette se fit annoncer, elle n’eut garde de lui manifester ses pensées ; il fallait d’abord savoir les motifs de la visite, et si le collège n’en retirerait pas quelque avantage. Elle lui montra donc bon visage, quoique un peu réservé. Mais à peine sut-elle qu’Annette venait en quémandeuse, elle se souvint du scandale, son sourire se figea. On peut bien accepter de l’argent d’une personne qu’on n’approuve point ; mais on ne peut pas, décemment, lui en donner. Il ne fut pas difficile à Mme Abraham de trouver des raisons péremptoires pour écarter la candidature indiscrète. Point de place au collège. Et comme Annette demandait qu’elle la recommandât à d’autres institutions, Mme Abraham ne prit pas la peine de la payer de promesses vagues. Très diplomate, quand elle avait affaire à ceux que portait la roue de la fortune, elle cessait sur-le-champ de l’être, quand la roue les jetait en bas. Grave faute de diplomatie ! Car il se peut que ceux qui sont en bas aujourd’hui, demain se retrouvent en haut ; et le bon diplomate ménage l’avenir. Mme Abraham ne tenait compte que du présent. À présent, Annette se noyait : c’était regrettable, mais Mme Abraham n’avait pas l’habitude de repêcher ceux qui étaient à l’eau. Elle ne déguisa point la sécheresse de ses sentiments ; et Annette n’abandonnant pas son ton de tranquille aisance et d’égalité (désormais) déplacée, Mme Abraham, afin de la ramener à une appréciation plus exacte des distances, déclara qu’elle ne pouvait, en conscience,