Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/91

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quaient : ainsi que dans un puzzle, dont les pièces sont mêlées. De là, ses bizarres et fugaces préférences, aussi vives que variées, qui semblaient capricieuses, et qui étaient moins inconstantes que partielles. Bien malin eût pu dire ce qui en chacune de ces femmes l’attirait ! En vrai chat du foyer, c’était la douceur des mains plus que la personne entière qu’il aimait. Et c’était l’ensemble de ces douceurs, le foyer, l’atelier. Il était égoïste, avec candeur. (Et bon droit : le petit constructeur avait d’abord à rassembler son moi). Égoïste sincèrement, jusque dans ses caresses. Car il était caressant, parce qu’il voulait plaire, et parce qu’il y trouvait plaisir. Aussi ne l’était-il qu’avec celles qu’il avait élues.

Sa grande favorite fut, dès les premiers temps, Sylvie. Son instinct d’animal domestique avait tout de suite perçu qu’elle était le dieu du foyer, le maître qui dispense le manger, les baisers, la couleur de la journée, et qu’il est bon de courtiser. Mais le meilleur encore est d’en être courtisé. Et le petit avait su remarquer que ce privilège lui était attribué. Il ne doutait point d’ailleurs que ce ne fût mérité. Il recevait donc, sans surprise, mais avec satisfaction, l’hommage agréable et flatteur qui lui était rendu par la souveraine de l’atelier. Sylvie le gâtait, l’adulait, s’extasiait sur ses gestes, sur ses pas, sur ses mots, son esprit, sa beauté, sa bouche, ses yeux, son nez ; elle l’offrait à l’admiration de ses clientes et se pavanait de lui, comme si elle l’eût pondu. À la vérité, elle l’appelait aussi :

— Petit voyou ! Serin guinos !

Et d’aventure, elle le mouchait, torchait, claquait. Mais d’elle, il ne le trouvait pas blessant, et même, (quoiqu’il protestât hautement), pas trop désagréable. N’est pas fessé qui veut, par la main de la reine ! D’une autre, « Dieu de Dieu ! » (une de ses miettes d’atelier), il ne l’eût pas admis !… Et puis, même sans son sceptre,