Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
104
LES PRÉCURSEURS

nous meurtrit et nous sacrifie !… — Aujourd’hui, les paumes déchets pantelants que rejette la fournaise sanglante savent l’amertume des lauriers, et un peu de fierté les défend d’une gloire illusoire et éphémère, ils connaissent à présent les déceptions des attitudes, et ils ont sondé le vide de certains rêves. Le feu a dévoré le décor, dépouillé tout clinquant ; ils se retrouvent face à face avec eux-mêmes, un peu plus conscients peut-être, sûrement plus sincères et plus désabusés, car il y a des plaies cachées à panser et de grandes douleurs à bercer dans l’ombre ! Le temps qui passe leur laisse une amertume dans la bouche… Comme elle sera douloureuse, la transition, et comme elles seront nombreuses les épaves ! Déjà une angoisse nouvelle étreint : c’est celle qui pèsera, au grand retour de ceux qui luttent encore. Ô l’oppressante angoisse devant les ruines et les morts qui encombrent les champs de bataille ! Comme elle déprimera les jeunes volontés et annihilera les beaux courages ! Époque trouble et confuse où les hommes tâtonneront opiniâtrement pour chercher des routes plus sûres et trouver des idoles moins cruelles !…

… « Jeune homme de ma génération, c’est à toi que je pense à l’heure où j’écris ces lignes, à toi que je ne connais pas, sinon que tu te bats encore ou que tu es revenu abîmé de la tranchée ardente… Je t’ai rencontré dans la rue, honteux presque, dissimulant avec peine une infirmité, et j’ai lu dans tes yeux, mon ami, une telle détresse intérieure ! Je sais les minutes crispées que tu as vécues et je sais qu’une telle épreuve endurée en commun finit par donner une même âme… Je sais tes doutes : tes inquiétudes sont miennes. Je sais qu’obsédante cette interrogation te possède : « Après ? » Tu demandes, toi aussi, ce qu’on voit des hauteurs et ce qui va s’annoncer. Je te comprends ; oui, après ?… Vivre ! tu chantes au cœur de chacun. Vivre ! tu es le cri de