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LES PRÉCURSEURS

qui se confient à lui. À ses côtés marche le jeune lieutenant Weixler, l’être le plus froid, le plus implacable, le plus inhumain, — comme on l’est souvent à vingt ans, « quand on n’a pas eu le temps d’apprendre le prix de la vie ». La dureté de cet homme (qui est d’ailleurs un officier impeccable) fait souffrir Marschner jusqu’à l’exaspération. Une hostilité furieuse s’amasse sourdement entre eux. À la fin, au moment où elle va se faire jour, une mine éclate dans la tranchée, où les deux hommes se regardent avec animosité. Elle les ensevelit sous les décombres. Quand le capitaine revient à lui, il a le crâne fracassé ; mais il voit à quelques pas l’impitoyable lieutenant, éventré, ses entrailles enroulées autour de lui. Ils échangent un dernier regard.

Et Marschner vit un visage presque inconnu, blême, triste, des yeux effrayés, une expression douce, molle, plaintive, autour des lèvres, avec une inoubliable résignation, tendre et douloureuse…

« — Il souffre !… » pensa Marschner. Ce fut comme un transport de joie en lui. Et il mourut…

Der Kamerad (Le Camarade) est le journal d’un soldat à l’hôpital, — affolé par les spectacles de la guerre, surtout par une horrible vision de blessé qui agonise, un misérable à la face emportée par un coup de harpon. L’image est à jamais gravée dans son cerveau. Elle ne le quitte ni jour ni nuit ; elle s’assied, se lève, mange, dort avec lui : elle est « le Camarade ». La description est hallucinante ; et la nouvelle contient les pages les plus violentes du livre contre les meneurs de la guerre et les imposteurs de la presse.

Heldentod (Mort d’un héros) représente l’agonie, à l’hôpital, du premier lieutenant Otto Kadar. Il a le crâne brisé. Tandis que les officiers du régiment, réunis, se faisaient jouer par un gramophone la marche de Rakoczy, une bombe a fait explosion au milieu