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LES PRÉCURSEURS

chronique des livres et des théâtres signale les travaux traitant des questions actuelles ; j’y relève deux œuvres originales : un livre d’une hardiesse paradoxale, par le savant américain Thorstein Veblen : La paix (Peace ? An inquiry into the nature of peace), et une pièce russe en quatre actes d’Artzibaschef : Guerre (War), qui dépeint le cycle de la guerre dans une famille, et l’usure des âmes qui attendent.

Enfin, de vigoureux dessinateurs, des satiristes du crayon : R. Kempf, Boardman Robinson, George Bellows, animent cette revue de leurs visions impertinentes et de leurs mots cinglants. Voici la Mort broyant dans ses bras la France, l’Angleterre, l’Allemagne, et criant : « Arrive, Amérique, le sang, c’est fameux ! » (R. Kempf). — Plus loin, la Liberté pleure. L’oncle Sam a les fers aux pieds et aux mains — les menottes de la censure, le boulet de la conscription. Légende : « Tout prêt à combattre pour la liberté ! » (B. Robinson). — Puis, c’est le Christ en prison, enchaîné. Légende : « Enfermé, comme tenant un langage tendant à détourner les citoyens de s’engager dans les armées des États-Unis. » (G. Bellows). — Enfin, sur un monceau de morts, deux seuls survivants se tailladent férocement : la Turquie, le Japon. Légende : « 1920 : toujours combattant pour-la Civilisation. » (H. R. Chamberlain).

Ainsi luttent, au delà des mers, quelques esprits indépendants. Liberté, lucidité, vaillance, humour, sont de rares vertus, qu’on trouve plus rarement encore unies, en ces jours d’aberration et de servitude. Elles font le prix de cette opposition américaine.

Je ne la donne pas pour impartiale. La passion l’entraîne, elle aussi, à méconnaître les forces morales qui sont chez l’adversaire. Car la misère et la grandeur de