Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
LES PRÉCURSEURS

l’assaut ( « le feu » ) ; — « le poste de secours » ; — « l’aube ». — Je voudrais pouvoir citer l’admirable tableau des hommes qui attendent l’ordre d’attaque, — immobiles, un masque de calme recouvrant quels songes, quelles peurs, quels adieux ! Sans aucune illusion, sans aucun emportement, sans aucune excitation, « malgré la propagande dont on les travaille, sans aucune ivresse, ni matérielle, ni morale », en pleine conscience, ils attendent le signal de se précipiter « une fois de plus dans ce rôle de fou imposé à chacun par la folie du genre humain » ; — puis c’est la « course à l’abîme », où, sans voir, au milieu des éclats qui font un cri de fer rouge dans l’eau, au milieu de l’odeur de soufre, « on se jette sur l’horizon » ; — et la tuerie dans la tranchée, où « l’on ne sait pas d’abord que faire », et où ensuite la frénésie s’empare de l’homme, où « l’on reconnaît mal ceux même que l’on connaît, comme si tout le reste de la vie était devenu tout à coup très lointain… » Et puis, l’exaltation passée, « il ne reste plus que l’infinie fatigue et l’attente infinie… ».

Mais il me faut abréger, arriver à la partie capitale de l’œuvre : à la pensée.

Dans Guerre et Paix, le sens profond du Destin qui mène l’humanité est ardemment cherché et saisi, de loin en loin, à la lueur d’un éclair de souffrance ou de génie, par quelques personnalités plus affinées, de race ou de cœur : le prince André, Pierre Besoukhow. — Sur les peuples d’aujourd’hui, le rouleau aplanisseur a passé. Tout au plus si de l’immense troupeau se détache, un moment, le bêlement isolé d’une bête, qui va mourir. Telle, la pâle figure du caporal Bertrand « avec son sourire réfléchi » — à peine dessinée, — « parlant