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jean-jacques rousseau

pas moins fou que dans les « Dialogues », mais fou tranquille, tendre et triste, radotant. Il ne s’irritait plus, il lui semblait vivre au fond d’un mauvais rêve (et c’était trop vrai !), il attendait, résigné, l’heure de se réveiller. Maintenant, il savait, il croyait savoir qu’il n’avait rien à attendre de l’avenir d’une réparation sur la terre… « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société, que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime… » Il était seul, pour l’éternité, « tranquille au fond de l’abîme, pauvre mortel, infortuné, mais impassible comme Dieu même… »

Son art n’avait, d’ailleurs, rien perdu, il s’était encore épuré. Et ces dernières « Rêveries » sont comme le beau chant d’un vieux rossignol mélancolique, dans le silence de la forêt. Il se remémore les rares jours heureux de sa vie : ce sont surtout ceux où il pouvait se fondre dans la nature, s’identifier avec le Cosmos. — Jamais homme de l’Occident n’a réalisé aussi complètement l’extase, au sens de l’Orient, « le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection », cette concentration au fond de l’Etre, « où il s’enlaçait de lui-même ». — Le meilleur délassement de ses derniers jours était la botanique : ce qu’il goûtait surtout en elle, ce n’était point les satisfactions de la science, mais le contact avec la vie de la terre et tous les souvenirs qu’elle évoquait, « les prés,