Page:Rolland - Par la révolution, la paix.djvu/130

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réussi, entre 1905 et 1914, à former le peuple russe, sous le régime le plus oppresseur, comment ils ont pu, malgré la censure la plus tyrannique, faire pénétrer dans les classes les plus étendues la pensée la plus hardie : (car c’est une grande erreur d’en rester, pour la Russie d’avant la Révolution, comme on le fait en France, à l’idée surannée du peuple le plus ignorant d’Europe et de ne pas tenir compte des transformations opérées depuis la fin du xixe siècle, surtout depuis l’année critique 1905, et de l’énorme appétit de lecture, de la faim de savoir, qui s’y sont développés).

J’ai eu l’honneur de connaître quelques-uns de ces grands intellectuels russes, qui se sont faits les éducateurs de leur peuple. Causant avec l’un d’eux[1], je l’entendais me dire que la censure tsariste avait saisi une quarantaine de ses livres ; et comme je le plaignais, il me répondit en souriant : « Oh ! cela ne fait rien. Cent vingt autres de mes ouvrages ont échappé à la censure. » Il s’était voué à la rédaction d’une quantité de petits manuels, expliquant au peuple l’ensemble des connaissances actuelles, en science, en art, en économie sociale, dans tous les domaines ; il s’était fait, avec un merveilleux talent, une Encyclopédie vivante pour éclairer son peuple.

Certes, il n’est guère possible de rencontrer beaucoup d’exemples d’une telle universalité ; mais il serait utile que des groupes d’intellectuels fondassent des collections de petites brochures de « contre-éducation » encyclopédique qui remissent au point l’histoire politique et sociale, l’histoire littéraire, la morale civique, la pensée scientifique, encombrées de fausses traditions, d’erreurs et de préjugés.

  1. Nicolas Roubakine.