Page:Rolland - Vie de Ramakrishna.djvu/34

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Védantistes pour admettre que le divin est dans l’Âme, et que l’âme est dans tout — que l’Atman est Brahman — je n’ai pas besoin d’enfermer Dieu entre les frontières d’un homme privilégié : c’est encore, à mes yeux, une forme (qui s’ignore) de « nationalisme » de l’esprit ; et je ne l’accepte point. Je vois le « Dieu » dans tout ce qui existe. Je le vois tout entier dans le moindre segment, comme dans le Tout Cosmique. Nulle diversité d’essence. Et quant à la puissance, elle est partout infinie : celle qui gît dans une pincée de poussière pourrait, si l’on savait, faire sauter un monde. La seule différence est qu’elle est plus ou moins concentrée, au cœur d’une conscience, d’un moi, ou bien d’un noyau d’atome. Le plus grand homme n’est qu’un plus clair miroir du soleil qui se joue en chaque goutte de rosée.

C’est pourquoi je n’établis jamais de ces fossés sacrés qui plaisent aux dévots, religieux ou laïques, entre les héros de l’âme et les millions de leurs obscurs compagnons du passé et du présent. Et pas plus que Christ et que Bouddhâ, je n’isole Ramakrishna et Vivekananda de la grande armée en marche de l’Esprit de leur temps. J’essaie, au cours de ce livre, de rendre justice aux géniales personnalités, qui ont, depuis un siège, surgi de l’Inde renouvelée, réveillé les antiques énergies de leur terre, et fait refleurir sur elle un printemps de pensée. Chacune a créé son œuvre et chacune a ses fidèles, qui l’ont constituée en église et tendent inconsciemment à regarder celle-ci comme l’église d’un seul ou du plus grand Dieu.