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VIE DE RAMAKRISHNA

Krishna, Chaïtanya et sa plus belle musique dans les chants délicieux de Chandidas et de Vidyapati[1]. Ces maîtres séraphiques — fleurs embaumées de leur terre — l’ont imprégnée de leur haleine. Pendant des siècles, le Bengale s’en est grisé. L’âme du petit enfant Ramakrishna a été faite de leur

  1. Chaïtanya (1485-1553), issu d’une famille de brahmines du Bengale après avoir acquis une renommée de savant théologien et sanscritiste secoua la poussière de la religion vieillie, que le formalisme paralysait. Il s’en alla prêcher sur les routes sa foi nouvelle d’amour, fondée sur l’union mystique avec Dieu. Elle s’ouvrait fraternellement à tous, hommes et femmes de toutes religions, de toutes castes et hors castes, musulmans, hindous, misérables, parias, voleurs, femmes perdues, que son Message brûlant rassemblait, purifiait, retrempait.

    Ce fut un Réveil extraordinaire, qu’annonçait depuis un siècle le ramage de chanteurs poètes merveilleux. Le plus exquis de ces oiseaux et le plus sincère est Chandidas, pauvre prêtre d’un temple à demi ruiné du Bengale, amoureux d’une jeune paysanne, qu’il chanta sous forme mystique, en une suite de petits poèmes immortels. Rien dans le trésor de nos lieder d’Europe ne surpasse la touchante beauté de ces divines élégies. — L’aristocratique Vidyapati, qu’une reine inspirait, atteint par son art raffiné à la naturelle perfection du simple Chandidas ; mais ses modes sont plus joyeux. — (J’exprime le vœu qu’un vrai poète d’Occident transplante ces chants en notre roseraie. Nul cœur d’amour, où ils ne refleuriraient !)

    Les disciples de Chaitanya les répandirent dans tout le Bengale. Ils allaient de village en village, chantant, dansant, sur un nouveau mode de musique, appelé Kirtana, l’Épouse errante, l’Âme humaine, qui cherche le Divin Amour. Les bateliers du Gange, les paysans, répétaient ce rêve de la Dormeuse Éveillée, dont les échos mélodieux remplissent encore l’art souverain de Tagore. (Particulièrement, dans Le Jardinier et dans le Gitanjali.) Les pieds d’enfant de Ramakrishna ont été entraînés dans ces Kirtans. Il a bu le lait de cette musique Vaishnavite ; et l’on peut dire qu’il en est devenu, par sa vie, le chef-d’œuvre — le poème le plus riche.

    Cf. dans Feuilles de l’Inde, publications Chitra, C. A. Högman éditeur, 20, rue Mathias, Boulogne-sur-Seine, 1928, — premier cahier, — une excellente étude de K.-M. Panikkar : Le mouvement religieux dans l’Inde au moyen âge, trad. M.  Dugard — et un essai de Tapanmohan Chatterji : Les anciens chants mystiques du Bengale, trad. Madeleine Rolland, où l’on trouvera une petite anthologie, bien choisie, de Chandidas, Vidyapati, etc.

    Sur les rapports de l’art de Tagore avec celui des anciens poètes du Bengale, cf. Manjulal J. Davé : La poésie de Rabindranath Tagore, Montpellier, 1927. — « Tagore n’a jamais cessé de louer les poètes Vaishnava, et il les a toujours considérés comme ses maîtres, en particulier Chandidas, Vidyapati, et plus tard Chaïtanya… »