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L’ÉVANGILE DE L’ENFANCE

substance ; elle est leur chair, on la reconnaît, il est le rameau fleuri de l’arbre de Chaïtanya[1].

L’amoureux de la divine beauté, le génial artiste qui s’ignore, de nouveau se révèle, dans sa deuxième extase. La nuit d’une fête de Çiva, cet enfant de huit ans, passionné de musique et de poésie, qui modèle des images, et dirige une petite troupe dramatique de garçons de son âge, prend part à la représentation sacrée ; il joue le rôle de Çivà ; et subitement son être est bu par son héros ; sur ses petites joues ruissellent des larmes de bonheur ; il se perd dans la gloire du Dieu ; il est ravi comme Ganymède par l’aigle qui tient la foudre ; on le croit mort…

Dès lors, les extases se multiplient. En Europe, déjà la cause serait jugée : on mettrait le petit dans une maison de santé, sous la douche quotidienne de psychothérapie, et consciencieusement, au jour le jour, on l’éteindrait… Plus de lanterne magique !… La chandelle est morte… Quelquefois, le petit meurt aussi… Dans l’Inde, où depuis des siècles par milliers processionnent ces magiques lanternes, pourtant on s’inquiéta. Même ce père et cette mère, habitués aux visites des dieux, observèrent avec crainte ces transports de l’enfant. Mais en dehors de ces crises, il jouissait d’une parfaite santé, il n’était pas exalté. Il avait de grands dons : ses doigts ingénieux fai-

  1. Une lettre du-savant disciple de Ramakrishna, qui rédigea son Évangile, M.  (Mahendra Nath Gupta), a bien voulu me préciser certains points :

    Ramakrishna connaissait les grands poètes Vaishnavites ; mais il semble que ce fut le plus souvent au travers des adaptations populaires qui en étaient faites dans les représentations théâtrales indigènes, appelées jatras — (comme celle où il joua, enfant, le rôle de Çiva.) — Il se passionna pour Chaïtanya, surtout dans la période qui suivit 1858. Il finit par s’identifier avec lui. Dans un de ses premiers entretiens avec le jeune Naren (Vivekananda), il lui dit, à l’étonnement scandalisé du jeune homme, qu’il avait été Chaïtanya, dans une Incarnation précédente. Il contribua beaucoup à réveiller le sens mystique, oublié, de Chaïtanya, au Bengale.