Page:Rolland Clerambault.djvu/134

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celui de la nation. Sur quoi pouvait-il fonder cette monstrueuse confiance ? Le devoir est d’être humble et de se tenir modestement à sa place dans la communauté. Le devoir est de s’incliner, après qu’elle a parlé et — qu’on y croie ou non — d’exécuter ses ordres. Malheur à l’insurgé contre l’âme de son peuple ! Avoir raison contre elle, c’est avoir tort. Et le tort est un crime, à l’heure de l’action. La République veut que ses fils lui obéissent.

— La République ou la Mort ! disait ironiquement Clerambault. Beau pays de liberté ! Libre, oui, parce qu’il a toujours eu et qu’il aura toujours des âmes comme la mienne, qui se refusent à subir un joug que leur conscience désavoue. Mais quelle nation de tyrans ! Ah ! nous n’avons pas gagné à prendre la Bastille ! Naguère, on encourait la prison perpétuelle, quand on se permettait de penser autrement que le prince, — le bûcher, quand on pensait autrement que l’Église. À présent, il faut penser comme quarante millions d’hommes, il faut les suivre dans leurs contradictions frénétiques, hurler un jour : « À bas l’Angleterre ! » demain : « À bas l’Allemagne ! » après-demain : « À bas l’Italie ! »… pour recommencer, la semaine d’après, acclamer aujourd’hui un homme ou une idée, qu’on insultera le lendemain ; et celui qui refuse, il risque le déshonneur, ou le coup de revolver ! Ignoble servitude ! la plus honteuse de toutes !… Et de quel droit cent hommes, mille hommes, un ou quarante millions, exigent-ils que je renie mon âme ? Chacun d’eux n’en a qu’une, comme moi. Quarante millions