Page:Rolland Clerambault.djvu/155

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— J’ai coutumance. Patient, y a pas de mérite, quand on ne peut autrement !… Et puis, ça nous connaît ! Un peu plus, un peu moins… La guerre, c’est toute la vie.

Clerambault s’aperçut que, dans son égoïsme, il ne lui avait rien demandé encore de sa vie ; il ne savait même pas son nom.

— Mon nom ? Ah ! il est bien seyant ! Courtois Aimé, que je m’appelle…Aimé, c’est le petit nom. Pour un qui a la guigne, ça me va comme un gant… Et Courtois, par là-dessus. Vlà un joli coco !… J’ai pas connu les miens. Je suis Enfant Assisté. Le nourricier de l’Assistance, un métayer de Champagne, s’est chargé de mon dressage. Il s’y entendait, le bonhomme !… J’ai été bien façonné. Au moins, j’ai su de bonne heure ce qui m’attendait dans la vie. Ah ! il a plu dans mon écuelle !…

Là-dessus, il raconta en quelques phrases brèves, sèches, sans émotion, la série de malchances qui composaient sa vie : mariage avec une fille comme lui, sans le sou, « la faim qui marie la soif », des maladies, des morts, bataille contre la nature, — ça ne serait encore rien, si l’homme n’y mettait du sien… Homo hominihomo… Toute l’injustice sociale qui pèse sur ceux d’en bas. — Clerambault ne pouvait cacher sa révolte, en l’entendant. Aimé Courtois ne s’émouvait point. C’est ainsi, c’est ainsi. Toujours c’était ainsi. Les uns sont faits pour pâtir. Les autres, non. Pas de montagnes sans vallées. La guerre lui paraissait imbécile. Mais il n’eût pas remué un doigt pour l’empêcher.