Page:Rolland Clerambault.djvu/156

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Il y avait, dans sa façon, la passivité fataliste du peuple, qui, sur le sol des Gaules, se voile d’ironique insouciance, le « Faut pas s’en faire ! » des tranchées. — Et il y avait aussi cette mauvaise honte des Français, qui n’ont peur de rien tant que du ridicule et risqueraient vingt fois la mort pour une absurdité, et par eux jugée telle, plutôt que la raillerie pour un acte de bon sens inaccoutumé. S’opposer à la guerre, autant vouloir s’opposer au tonnerre ! Quand il grêle, rien à faire qu’à tâcher, si l’on peut, de couvrir ses châssis, et puis après, à faire le tour de la récolte ruinée. Et l’on recommencera, jusqu’à la prochaine grêle, jusqu’à la prochaine guerre, jusqu’à la fin des temps. « Faut pas s’en faire ! »… L’idée ne lui venait pas que l’homme pût changer l’homme.

Clerambault s’irritait sourdement de cette résignation héroïque et imbécile, qui peut faire, à juste titre, l’enchantement des classes privilégiées : car elles lui doivent de subsister, — mais qui fait de la race humaine et de son effort millénaire un tonneau des Danaïdes, puisque tout son courage, ses vertus, ses labeurs se dépensent à bien mourir… Mais quand ses yeux se reportaient sur le tronçon d’homme étendu devant lui, une infinie pitié l’étreignait. Que pouvait-il faire, que pouvait-il vouloir, cet Homme de misère, ce symbole du peuple sacrifié, mutilé ? Tant de siècles qu’il souffre et saigne sous nos yeux, sans que nous, ses frères plus heureux, nous lui donnions, que de loin, quelque éloge négligent qui ne trouble point notre quiétude et l’engage à continuer !