Page:Rolland Clerambault.djvu/164

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Ah ! nous les aimons bien ! Sûrement, plus que nos vies… (S’il ne s’était agi que de donner nos vies…) mais pas plus que notre orgueil, s’exténuant à voiler notre désarroi moral, le vide de notre esprit et la nuit de notre cœur.

Passe encore pour ceux qui croient à la vieille idole, hargneuse, envieuse, poissée de sang caillé, — la Patrie barbare ! Ceux-là, en lui sacrifiant les autres et les leurs, tuent ; mais du moins ils ne savent ce qu’ils font ! — Mais ceux qui ne croient plus, qui seulement veulent croire, (Et c’est moi ! Et c’est nous !), en sacrifiant leur fils ils l’offrent à un mensonge : (affirmer dans le doute, c’est mentir) ; ils t’offrent pour se prouver à eux-mêmes leur mensonge. Et maintenant que nos aimés sont morts pour notre mensonge, bien loin de l’avouer, nous nous y enfonçons jusqu’au-dessus des yeux, afin de ne plus le voir. Et il faut qu’après les nôtres, les autres, tous les autres, meurent pour notre mensonge !…

Mais moi, je ne peux plus ! Je pense aux fils encore vivants. Est ce que cela me fait du bien que cela fasse du mal aux autres ? Suis-je un barbare du temps d’Homère pour croire que j’apaiserai la douleur de mon fils mort et sa faim de la lumière, en répandant sur la terre qui le dévore le sang des autres fils ? En sommes-nous toujours là ? — Non. Chaque meurtre nouveau tue mon fils une fois de plus, fait peser sur ses os la lourde boue du crime. Mon fils était l’avenir. Si je veux le sauver, je dois sauver l’avenir, je dois épargner aux pères qui viendront la douleur où je