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Page:Rolland Clerambault.djvu/189

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Dans sa propre maison, Clerambault ne trouvait plus d’appui. Sa vieille compagne, qui depuis trente ans ne pensait que par lui, répétant ses pensées avant même de les comprendre, s’effrayait, s’indignait de ses paroles nouvelles, lui reprochait âprement le scandale soulevé, le tort fait à son nom, au nom de la famille, au souvenir du fils mort, à la sainte vengeance, à la patrie. Quant à Rosine, elle l’aimait toujours ; mais elle ne comprenait plus. Une femme a rarement les exigences de l’esprit ; elle n’a que celles du cœur. Il lui suffisait que son père ne s’associât point aux paroles de haine, qu’il restât pitoyable et bon. Elle ne désirait point qu’il traduisît ses sentiments en théories, ni surtout qu’il les proclamât. Elle avait le bon sens affectueux et pratique de celle qui sauve son cœur et s’accommode du reste. Elle ne comprenait pas cet inflexible besoin de logique, qui pousse l’homme à dévider les conséquences extrêmes de sa foi. Elle ne comprenait pas. Son heure était passée, l’heure où elle avait reçu et rempli, sans le savoir, la mission de relever maternellement son père, faible, incertain, brisé, de l’abriter sous son aile, de sauver sa conscience, de lui rendre le flambeau qu’il avait laissé tomber. Maintenant qu’il l’avait repris, son rôle, à elle, était accompli. Elle était redevenue la « petite fille », aimante, effacée, qui regarde les grands actes du monde avec des yeux un peu indifférents, et, dans le fond de son âme, comme la phosphorescence de l’heure surnaturelle qu’elle a vécue, qu’elle couve religieusement, et qu’elle ne comprend plus.