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Page:Rolland Clerambault.djvu/193

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— Mais, mon cher garçon, dit Clerambault, puisque vous voyez cette ignominie, pourquoi ne pas l’empêcher ?

— Parce que c’est impossible.

— Pour le savoir, il faudrait d’abord essayer.

— La loi de la nature est la lutte des êtres. Détruire ou être détruit. C’est ainsi, c’est ainsi.

— Et cela ne changera jamais ?

— Non, dit Daniel, avec un accent de douleur obstinée. C’est la loi.

Il est des hommes de science, à qui la science cache si bien la réalité qu’elle enserre, qu’ils ne voient plus sous le filet la réalité qui s’échappe. Ils embrassent tout le champ que la science a découvert, mais jugeraient, impossible et même ridicule de l’élargir au delà des limites qu’une fois la raison a tracées. Ils ne croient à un progrès qu’enchaîné à l’intérieur de l’enceinte. Clerambault connaissait trop bien le sourire goguenard, avec lequel des savants éminents, sortis des écoles officielles, écartent, sans autre examen, les suggestions des inventeurs. Une certaine forme de la science s’allie parfaitement à la docilité. Du moins, Daniel n’apportait à la sienne aucune ironie : c’était plutôt l’expression d’une tristesse stoïque et buttée. Il ne manquait point de hardiesse d’esprit. Mais dans les choses abstraites. Mis en face de la vie, il était un mélange — ou, plus exactement, une succession — de timidité et de raideur, de modestie qui doute et de dureté de conviction. Un homme, — comme beaucoup d’hommes, — complexe, contradictoire, fait de pièces et de morceaux. Seule-