Page:Rolland Clerambault.djvu/216

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de chaque article où il venait de décharger sa bile.

Il était trop bien au courant de toutes les faiblesses intimes, de tous les défauts d’esprit, des petits ridicules de l’ancien ami. Il ne résistait pas au plaisir de les toucher d’une flèche sûre. Et Clerambault, atteint au vif, pas assez sage pour ne pas le montrer, se laissait entraîner dans le combat, ripostait, et prouvait qu’il pouvait, lui aussi, blesser l’autre jusqu’au sang. Une inimitié ardente se déchaîna entre eux.

Le résultat était à prévoir. Jusque-là, Clerambault avait été inoffensif. Il se bornait, somme toute, aux dissertations morales ; sa polémique ne sortait pas du cercle des idées ; elle eût pu aussi bien s’appliquer à l’Allemagne, à l’Angleterre, — ou à la Rome antique, — qu’à la France d’aujourd’hui. Pour dire la vérité, il ignorait les faits politiques à propos desquels il déclamait, — comme les neuf dixièmes des hommes de sa classe et de sa profession. Aussi sa musique ne pouvait guère troubler les maîtres du jour. La bruyante passe d’armes de Clerambault avec Bertin, au milieu du charivari de la presse, eut une double conséquence : d’une part, elle habitua Clerambault dans son escrime à un jeu plus précis, elle l’obligea à se tenir sur un terrain moins creux que celui des logomachies ; de l’autre, elle le mit en rapport avec des hommes qui, mieux au courant des faits, lui fournirent une documentation. Depuis peu, s’était formée en France une petite Société, à demi clandestine, de recherche indépendante et de libre critique sur la guerre et les causes qui l’avaient amenée. L’État, si vigi-