Page:Rolland Clerambault.djvu/218

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surpris. Il était traité couramment de sentimental par ses adversaires. Et certes, il l’était. Mais il le savait et, parce qu’il était Français, il avait la faculté d’en rire, de se railler. Bon pour les sentimentaux d’Allemagne, de croire opaquement en eux ! Au fond d’un Clerambault éloquent et sensible, le regard du Gaulois, toujours sur le qui-vive au cœur de ses grands bois, observe, ne perd rien, et de tout est prêt à rire. Le plus surprenant est que ce fond, émerge, au moment où on l’attend le moins, dans la plus dure épreuve et le danger pressant. Le sens du ridicule universel venait tonifier Clerambault. Son caractère prenait soudain une complexité vivante, à peine s’était-il dégagé des conventions où il était enroulé. Bon, tendre, combatif, irritable, dépassant la mesure, et le reconnaissant, et la passant de plus belle, larmoyant, ironique, sceptique et croyant, il s’étonnait lui-même, en se voyant dans le miroir de ce qu’il écrivait. Toute sa vie, sagement, bourgeoisement renfermée en lui, faisait irruption, développée par la solitude morale et l’hygiène de l’action.

Et Clerambault s’aperçut qu’il ne se connaissait pas. Il était comme re-né, depuis la nuit d’angoisse. Il apprit à goûter une espèce de joie, dont il n’avait pas idée — la joie vertigineuse et détachée de l’homme libre dans le combat : tous ses sens ajustés, comme un arc bien tendu, et jouissant de ce parfait bien-être.