Page:Rolland Clerambault.djvu/221

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vies passent, et la terre demeure. Eux du moins n’avaient pas, comme les bourgeois des villes, envoyé par fanatisme national leurs enfants à la mort. Seulement, leur sacrifice, ils savaient le mettre en valeur ; et il est probable que les fils sacrifiés l’eussent trouvé naturel. Pour perdre ce qu’on aime, doit-on perdre la tête ? Les paysans ne l’ont point perdue. La guerre a fait, dit-on, dans les campagnes de France, près d’un million de nouveaux propriétaires.

La pensée de Clerambault se sentait exilée. Elle ne parlait point la même langue. Ils échangeaient avec lui quelques vagues doléances. Quand il parle au bourgeois, le paysan se plaint toujours, par habitude : c’est une façon de se défendre contre un possible appel à son escarcelle. Ils eussent parlé sur le même ton d’une épidémie de fièvre aphteuse. Clerambault restait, pour eux, le Parisien. S’ils pensaient quelque chose, ils n’auraient pas été le lui dire. Il était d’une autre tribu.

L’absence de résonance étouffait la parole de Clerambault. Impressionnable comme il était, il en venait à ne plus l’entendre. Silence. La voix des amis inconnus et lointains qui tentaient de le rejoindre était interceptée par l’espionnage postal, — une des hontes qui déshonoraient ce temps. Sous prétexte de réprimer l’espionnage étranger, l’État d’alors faisait de ses propres citoyens des espions. Il ne se contentait pas de surveiller la politique, il violait les pensées ; il dressait ses agents au métier de valets qui vont écouter aux portes. Cette prime offerte à la